Kendji Girac : pourquoi les faits divers impliquant des stars fascinent-ils autant le public et les médias ?
Kendji Girac blessé par balle : le chanteur dit avoir simulé un suicide
Lundi 22 avril 2024, les téléphones portables de millions de francophones vibrent au petit matin pour alerter de l’état de santé inquiétant de l’artiste Kendji Girac, blessé par balle au thorax dans les Landes, en France. Son pronostic vital est d’abord engagé avant que le chanteur de “Andalouse” soit déclaré hors de danger.
“Que s’est-il passé à Biscarosse ?”
Quelques heures plus tard en France, les journaux télévisés de TF1 et France 2 ouvrent leurs éditions de la mi-journée devant des millions de téléspectateurs sur le fait divers encore flou. “Que s’est-il passé à Biscarosse où le célèbre chanteur Kendji Girac a été blessé par balle sur une aire d’accueil pour gens du voyage. […] On sera sur place”, annonce le journaliste Julian Bugier sur la chaîne publique. En Belgique, RTL-TVi opte pour la même stratégie. Côté RTBF, les faits sont évoqués à plusieurs reprises dans les rendez-vous d’information.
Kendji Girac tiré d affaire : enquête pour tentative d homicide volontaire
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Sur les réseaux sociaux, les sites d’information ou encore les chaînes d’information en continu, le drame ayant conduit le lauréat de la quatrième édition de The Voice France à l’hôpital devient le fait marquant du jour. Alors qu’on ne sait encore rien du contexte qui entoure les faits, il faut déjà décortiquer, décrypter et commenter le tir dont le chanteur a été victime mais aussi sa personnalité et son mode de vie. Jusqu’à un nouveau tournant ce jeudi 25 avril 2024 en fin d’après-midi lorsque le procureur de Mont-de-Marsan est longuement revenu sur les circonstances ayant mené au tir. Le chanteur est finalement revenu sur ses propos, déclarant avoir “simulé un suicide” après une dispute avec sa compagne.
Peu importe, l’affaire a déjà permis d’affoler les courbes d’audiences et générer des centaines de milliers de clics, tout comme l’accident causé par Pierre Palmade plus d’un an auparavant. Car au-delà de simples faits divers, ces actualités sont un cocktail explosif quasi-incontournable dans un monde médiatique toujours plus concurrentiel.
People et fait divers, un cocktail à audiences
“Le traitement du fait divers impliquant Kendji Girac fait directement penser à l’affaire Pierre Palmade même s’il n’y a pas eu de mort”, abonde la sémiologue Virginie Spies, analyste des médias et maîtresse de conférences à l’Université d’Avignon. “Sur l’emballement médiatique, on a l’impression qu’aucune leçon n’a été tirée des critiques émises après l’accident du comédien.”
Dans les deux cas, l’événement dramatique a ouvert la porte à un matraquage d’informations et une prise d’otage de l’antenne. Pour Kendji Girac, elle aura été ininterrompue sur les chaînes d’informations françaises entre lundi et jeudi.
Cette surabondance d’informations pas toujours bien perçue par le public provient du cocktail entre fait divers et personnalité populaire, une recette quasi infaillible pour capter l’intérêt du public. D’un côté, la célébrité impliquée a, par sa notoriété, le pouvoir d’intéresser rapidement un grand nombre de personnes. De l’autre, le fait divers et le mystère qui l’entoure dans les premiers temps de l’enquête ouvrent forcément à la curiosité. “Il y a une concordance entre deux phénomènes déjà très puissants seuls mais quand ils se rejoignent, explosent toutes les audiences.”
Grièvement blessé, Kendji Girac est emmené à l’hôpital. Alors que la première version faisait état d’un accident, elle a ouvert la voie à bon nombre de théories dans l’espace médiatique tandis que l’enquête policière suivait son cours dans l’ombre. Face aux micros de télévision, témoins et experts en tous genres se sont relayés pour étayer leurs théories. On a ainsi vu un brocanteur persuadé que l’artiste n’a pas pu se procurer son arme dans un marché aux puces succéder à un spécialiste des armes détaillant comment il a pu appuyer involontairement sur la gâchette.
Des vertus symboliques et pratiques
Dès les premières heures après le tir, la personnalité de Kendji Girac a ainsi été décortiquée. “Son appartenance à la communauté gitane, qui n’est pas forcément bien connue et sur laquelle il y a beaucoup de stéréotypes, les réactions de proches pas toujours nommés avec une dimension communautaire, d’honneur, ça renvoie à des représentations à des stéréotypes qui sont soit reconduits, soit discutés.” De la même façon le fait divers impliquant Pierre Palmade a ouvert la voie aux commentaires sur la sexualité ou la consommation de drogue du comédien.
À cette dimension symbolique s’ajoute un côté pratique. Car le fait divers est une matière infinie puisqu’indéterminée. Il permet un flux continu de contenus propice aux contraintes médiatiques de 2024. “Une information mêlant fait divers et people est très pratique lorsqu’on parle d’actualité en continu, souligne l’expert. On peut broder dessus en continu et ça ne coûte pas cher. C’est de la spéculation donc on va faire venir des personnes qui vont commenter, ça ne coûte pas cher. Ça remplit du temps d’antenne.”
Une forme de revanche sociale
Ces faits divers surviennent alors que la communication autour des artistes est de plus en plus cadenassée par des équipes de communication dont le travail est d’assurer à leurs protégés l’image la plus lisse possible.
L’objectif ? Assurer le succès commercial le plus large possible, et donc risquer le moins possible de se mettre une partie du public à dos. Mais plus le secret entoure une star, plus la curiosité est accrue au moindre dérapage. “Si c’est flou c’est qu’il y a un loup, comme on dit. Il n’y a qu’à voir avec les familles royales. Quand on cache finalement, ça sous-entend qu’il y a quelque chose à cacher”, détaille Virginie Spies.
Et dans nos sociétés, la célébrité n’est pas une “consécration inconditionnelle”, estime Jamil Jean-Marc Dakhlia. “Dans le rapport aux célébrités, il y a en filigrane une forme de revanche sociale.” Ainsi s’intéresser aux déboires d’une personne célèbre est aussi une façon de se demander ce qu’elle a de plus que nous, si elle mérite sa notoriété et éventuellement sa richesse et son train de vie.
La fascination pour ces faits divers permet au public de se resituer par rapport à des personnalités qui paraissaient inaccessibles et dont les problèmes ramènent à une forme de “normalité”. “Il y a un vrai côté rassurant”, ajoute Virginie Spies. Un phénomène amplifié par le regard paradoxal que portent de nombreux spectateurs sur ces actualités qu’il sait futiles mais qu’il consomme quand même car “c’est un peu divertissant, un peu malsain, un peu humain”.
Le procureur a-t-il voulu court-circuiter les médias ?
L’heure et demie de conférence de presse du procureur, précisant détail après détail les faits survenus dans la nuit de dimanche à lundi a-t-elle marqué le point final de ce nouveau fait divers de star ?
Probablement pas mais en déballant autant de détails, il a sans doute voulu court-circuiter plusieurs semaines de supputations supplémentaires à l’instar de l’affaire Pierre Palmade qui a fait de nouveaux remous début mars, soit plus d’un an après les faits.
“Je pense que c’est une stratégie qui vise à limiter au maximum les zones d’ombre pour éviter que ça dure dans le temps. Il ne peut plus avoir de développements dans les médias car il a déjà donné tous les détails”, conclut la sémiologue. Reste à savoir quand Kendji Girac, par une prise de parole ou une apparition publique, décidera de relancer la machine.