Mylène Farmer incapable de remplir le Stade de France, la chanteuse contrainte d’annuler

INTERVIEW – Mylène Farmer : “Je ne me lève pas en me disant que je suis un mythe!” © Marcel Hartmann pour Gala
Sacre d’un nouveau printemps. Alors qu’elle amorce son retour dans l’actualité avec un album de remixes et un retour sur scène très attendu par ses fans, l’icône de la chanson française s’est offerte comme jamais sous le ciel normand. Séquence intime…

Une plage isolée, un peu de peau découverte, des sourires saisis sur le vif… Quelque chose de pur, d’authentique, de désencombré. Rien d’autre que l’évidence d’une beauté et d’une espièglerie naturelles. C’est tout un shooting inspiré par les clichés de Marilyn Monroe surprise dans l’écume de Malibu, par Milton Greene, ou jouant avec les vagues d’un drap, devant Douglas Kirkland, qu’on a d’abord fantasmé pour ce numéro de Gala. Numéro allant lui aussi à l’épure, dans sa forme, et à la vérité des sentiments, dans le fond.

En ce début de mois de février, le printemps est encore loin. La neige est davantage son élément. Elle aime le silence. Mais Mylène Farmer, en plus d’être fidèle dans en amitié, sait aussi faire preuve d’audace, trouver de l’attrait à l’imprévu. Ok pour fouler le sable normand, être habillée par le vent et même braver la pluie dans le pire des cas. Du sang breton coule dans ses veines. Elle est bien plus endurante qu’on ne le croit. Nous n’aurons pas attendu sept ans de réflexion. Juste – hasard ou ironie de la vie – qu’elle revienne de rivages plus exotiques, escapade planifiée de longue date, petit luxe qu’elle ne s’était pas offert depuis trois ans, en raison de la santé déclinante de son dernier compagnon à quatre pattes. La meute canine qu’elle aimait promener dans l’ouest parisien n’est plus.

A son retour sous nos latitudes, Mylène affiche un léger hâle, quelques taches de rousseur, une silhouette impeccable. Devant l’objectif de Marcel Hartmann, elle ose, rit souvent. Elle est détendue. Terriblement sensuelle. En bord de mer, elle croise de rares promeneurs qui saluent poliment la femme, sans avoir reconnue la star. Elle s’en amuse. Sous le vernis de l’icône, un cœur bat fort. Marilyn eût aimé…

“Je ne retiens que ce qui me protège et me nourrit”
Gala : Vous revenez d’une destination lointaine. Partir au bout du monde, c’est souvent partir à la rencontre de soi. Qu’est-ce que les voyages vous apprennent encore sur vous ?

Mylène Farmer : Ce sont toujours des moments d’introspection. Malgré les heures de vol, malgré mon désir de laisser reposer « la machine à pensées », je suis pourtant incapable de m’abandonner totalement. Cette inaptitude au répit me surprend à chaque fois. Moi, sur une plage déserte, j’arpente sans relâche la plage. J’ai un besoin irrépressible de mouvement. Je dois être une anomalie ! (Rire)

Gala : Autre voyage, celui-ci dans le temps : vos quarante ans de carrière. Vous vous octroyez le droit de tout oublier, même le meilleur, ou celui de tout célébrer, même les plus douloureux ?

Mylène Farmer : Je crois qu’on n’oublie rien, qu’on compile plutôt les évènements. Heureusement, la mémoire, la mienne en tous cas, est sélective. C’est une aide pour avancer. Je ne retiens que ce qui me protège et me construit. Dans cette traversée que vous évoquez, je me sens accompagnée par des moments de joie immense et des instants de bonheur plus fugaces. Ils resurgissent lors d’une rêverie ou au détour d’une conversation. Mes peines, mes déceptions, mes hantises… je les garde pour moi, elles m’appartiennent.

Gala : Evoquons quand même vos concerts au Stade de France les 27, 28 septembre et 1er octobre. Vous deviez y chanter l’été dernier. Vous avez été contrainte d’y renoncer en raison des émeutes agitant le pays. On imagine votre dévastation…

Mylène Farmer : Nous étions en train de quitter l’hôtel pour le Stade, quand la voiture suivant la mienne nous a fait signe de nous arrêter. La phrase tombe : « C’est fini, les concerts sont annulés ». Je m’entends encore répondre, d’une voix à peine audible, le souffle coupé : « Non, non, on doit y aller ». Vertige absolu. Nous sommes restés sur le trottoir, complètement abasourdis, pendant une vingtaine de minutes. Je ne pensais qu’au public déçu, désemparé. J’ai vécu un cauchemar éveillé. Cela reste un très mauvais souvenir. Heureusement, nous nous retrouvons bientôt.

Plus sentimentale que nostalgique… Pour preuves, sa médaille de naissance, récemment retrouvée, à son cou, et son album “Remix XL”, pour lequel elle a ré-enregistré certains de ses titres, disponible le 19 avril. Marcel Hartmann pour Gala
“J’ai toujours le sentiment de jouer ma vie”
Gala : La romancière Joyce Carol Oates a écrit que de nos blessures secrètes, nous faisons des monuments de survie. Tout est monumental avec vous. Avez-vous le sentiment d’être une survivante ?

Mylène Farmer : D’une certaine manière, oui. Je comprends très bien l’idée que nos blessures aiguisent aussi notre instinct de survie. L’écriture est pour moi une béquille. Elle m’aide à soigner mes plaies et à maintenir un équilibre fragile. Si vous faites plus particulièrement référence à mes shows, ils sont sans doute ma façon de célébrer la vie. Voir grand, toujours plus grand, pour défier la mort. Et emmener le public loin, très loin, de ce monde…

Gala : A l’approche de votre toute première tournée en 1989, vous avez eu ces mots d’acrobate : « Je joue ma vie ». L’échec est pour vous inconcevable ?

Mylène Farmer : J’ai toujours le sentiment de jouer ma vie. Je ne sais pas penser autrement. Le mot « échec » m’angoisse, parce que je l’associe au mot « désamour ». Il exacerbe une peur de l’abandon, qui peut devenir suffocante. On peut bien sûr apprendre de ses échecs, cela arrive. Mais si les acrobates ne redoutent pas le vide, moi oui ! La maîtrise et la mise en danger sont en fait les deux épices essentielles à la création chez moi.

Gala : Cuissardes libertines, costume à carreau androgyne… Le couturier belge Olivier Theyskens, qui vous avait déjà rendu hommage avec son défilé printemps-été 2021, a revisité la mythologie Farmer pour vos tenues de scène. Cela vous amuse d’être devenu un mythe ?

Mylène Farmer : Mes clips, spectacles et textes esquissent sans doute un univers. Mais je ne me lève pas en me disant que je suis un mythe ! Je me demande plutôt ce que j’ai fait pour mériter autant d’amour de la part du public. Un sentiment d’illégitimité m’accable parfois. Mais parlons d’Olivier. C’est un garçon unique. Un artiste complètement « martien » et doué, à la fois. Il dessine incroyablement bien. Dans son domaine, il me rappelle un peu David Lynch. Olivier incarne la patience et la passion. Quand il est à l’ouvrage sur sa machine à coudre, le monde pourrait s’écrouler autour de lui sans qu’il s’en aperçoive ! Pour se concentrer, il écoute des bandes-son de grands films dont il connaît la musique, les dialogues et les bruitages, parfois mieux que les images.