Le mauvais élève
À ses débuts, entre 1993 et 1994, “Taratata” est diffusée sur France 2 aux alentours de 23h et totalise (selon Médiamétrie) environ 15% de part d’audience, soit plus d’un million de téléspectateurs.
Deux années plus tard, elle n’est plus suivie que par environ 682 000 personnes. Après quelques “prime-times” sur France 4, l’émission est finalement réaménagée sur La Deux en 2011 pour “laisser la place aux autres programmes” et diffusée tardivement le vendredi soir.
Cette année là, le site Premiere parlait de seulement 6% de part d’audience, soit environ 400 000 téléspectateurs pour un programme diffusé en seconde partie de soirée. Pire, depuis la rentrée 2012, l’émission n’est regardée que par quelques 195 000 personnes par semaine, soit 4,7% d’audimat (chiffres Médiamétrie).
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Stevie Wonder joue “Superstition” à Taratata en 1995
Le contexte actuel
Bref, “Taratata” va mal. En début d’année, Nagui explique au site Pure Médias les problèmes financiers rencontrés par l’émission :
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“Taratata” coûte 90.000€ et elle est vendue 60.000 € à France 2 par numéro. [Nous ne perdons pas d’argent] parce qu’il y a un plan de financement où Air France, Europe 1 et TV5 Monde participent au tour de table.
Pourtant, Philippe Vilamitjana, directeur de l’antenne et des programmes de France 2, assure dans une déclaration à l’AFP que le problème n’est pas d’ordre financier :
Cet arrêt correspond à la volonté de France 2 de renouveler et d’amplifier son offre musicale de façon régulière et récurrente. Cela fait partie des grands chantiers de notre grille de rentrée.
Ces chantiers sont les conséquences d’une politique d’austérité orchestrée par le PDG de France Télévisions, Rémy Pflimlin. Pour encaisser la baisse des budgets publics et des revenus publicitaires, la ministre de la culture Aurélie Filippetti avait demandé au groupe de faire des économies. Emission onéreuse et audience en berne : “Taratata” passe à la trappe. Logique pour une chaîne publique ?
Mais la ministre rassure :
Je veillerai à ce que la place de la culture et de la musique soit préservée dans le service public. […] Il ne faut pas que les économies portent sur la place de la culture dans le service public, elle doit être préservée, valorisée.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Bruno Patino, le nouveau directeur de l’ensemble des programmes de France Télévisions, a annoncé sur Twitter il y a quelques jours, qu’un nouveau programme moins couteux devrait naître à la rentrée :
Pour ceux qui aiment la musique (j’en suis) France 2 lancera un magazinemusical en deuxième partie de soirée a la rentrée (1/2)
— Bruno Patino (@brunopatino) 3 juin 2013
(2/2) trois fois par mois, et un Live de 80 mnsa la même heure une fois par mois.Et sans doute une séquence live dans son accès
— Bruno Patino (@brunopatino) 3 juin 2013
Les pistes
Alors pourquoi “Taratata” n’a pas marché ? Pendant 20 ans, le show s’est efforcé de faire jouer des artistes de renommée internationale comme Muse, Red Hot Chili Peppers, Metallica, Lou Reed, IAM, David Bowie, Stevie Wonder… Mais également des groupes plus indés, ainsi que des artistes français méconnus. Ou comment proposer une musique innovante sur le service public.
On se souvient par exemple du groupe Boy qui reprenait Foster The People, de la version de Birdy de “Call Me Maybe”, ou encore du groupe Kodaline qui interprétait un medley de Daft Punk et Phoenix.
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Le medley comprenant Daft Punk et Phoenix par Kodaline (qui a un peu de mal au début)
C’est un fait : dans le monde des émissions musicales, “Taratata” avait son pesant de qualité. Alors si le problème ne vient pas de là, quel est son origine ?
Le format
Nous sommes allés poser cette question à Olivier Aim, docteur en sciences de l’information et de la communication. Pour lui, le show a eu pendant un temps son moment de gloire : “Taratata” recueillait une estime de la part du champ artistique et musical qui la considérait comme une fenêtre acceptable de mise en visibilité et en promotion de la musique grand public.”
Il poursuit :
Mais “Taratata” n’était qu’une émission de live musical à la mise en scène valorisante pour les musiciens (lumière, son, séquence et rythme), mais n’a jamais été guère plus que cela.
Pour Olivier Aim, une part du problème viendrait donc de “l’énonciation télévisuelle” :
Le problème de la télévision publique est de confondre “qualité télévisuelle” et “prétention culturelle”.
Il prend l’exemple du théâtre, aujourd’hui diffusé “tel quel” par France Télévisions, caché derrière la mention “programme culturel”. Selon lui, la télévision ne doit pas uniquement être la retranscription brute de tout art, elle doit être pensée comme un média ayant son propre language, et adopter un format télévisuel qui lui est propre :
Sans doute y a-t-il une forme télévisuelle qui convient à la musique et au théâtre à inventer, qui ne se contente pas que de citer, de diffuser, de capter des performances qui appartiennent à un autre espace médiatique.
Si, à l’époque, “Taratata” pouvait passer pour un projet abouti, il est devenu obsolète, se bornant simplement au cadre d’une émission de live musical dans sa plus primaire définition. Dépassée donc ? Sûrement. Mais par quoi ?
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La spéciale Red Hot Chili Peppers sur Taratata en 2006
La concurrence
Dans le panel actuel des émissions musicales, “The Voice” est un exemple à citer. Le 18 mai dernier, la finale de l’émission rassemble presque sept millions de téléspectateurs, soit 32,6% de la part d’audience de TF1 (chiffres Pure Média).
C’est un succès télévisuel indéniable qui, toujours selon Olivier Aim, s’explique par le fait d’avoir su “renouveler un genre bien installé pourtant depuis une dizaine d’années sur nos chaînes de télévision : le “talent show musical”. Et termine :
Même si “The Voice” n’est pas artistiquement géniale, l’émission est néanmoins totalement pensée d’un point de vue télévisuel.
Mais aujourd’hui la concurrence ne se trouve plus uniquement sur le terrain télévisuel — la télévision elle-même a vu naitre un ennemi de taille : Internet.
Grâce à Médiamétrie, nous savons qu’en 2013 plus de la moitié de la population française se nourrit de vidéos sur Internet, et ce chiffre de 34,4 millions de vidéonautes ne fait qu’augmenter (ils étaient 29 millions en 2011). Devant cette évolution de comportement, la télévision a du s’exporter sur le Web. Et nous ne parlons pas du déjà-vieux “replay”. Non, il s’agissait de créer un tout nouveau format qui pouvait traiter des sujets culturels dans un contexte visuel différent.
Mais revenons à la musique et posons-nous la bonne question, celle qui pourrait répondre dans son ensemble à ce “problème Taratata” : comment regardons-nous la musique aujourd’hui ?
Chose paradoxale et pourtant pas nouvelle, la musique se regarde autant qu’elle s’écoute. Et la Blogothèque l’a bien compris. Pour pimenter la simple prestation scénique, ce weblog musical a lancé le principe du “concert à emporter”, mettant en scène des artistes interpretant leurs chansons dans des lieux plus ou moins insolites.
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Phœnix – “Lizstomania” / “One Time Too Many” à bord d’un bus touristique à Paris
Mais phénomène de bien plus grande ampleur, summum du paradoxe qui lie la musique au visuel : la Boiler Room. Créées à Londres en 2010, les soirées “Boiler Room” partent du principe minimaliste qui consiste à filmer et diffuser en direct un DJ set. À l’heure qu’il est, leur chaîne Youtube totalise presque 30 millions de vues et plus de 180 000 abonnés.
Et pourtant, il n’y a rien à voir : une ou deux caméras grand-angles, quelques invités derrière un DJ et des heures de live que l’on peut également revoir à volonté. Le succès de ces soirées peut s’expliquer par la sensation que nous procure le fait de “vivre” une soirée inaccessible de par sa géographie, comme par sa grande sélectivité, et ce, sans débourser un seul centime ou sortir de chez soi. Il faut évidemment prendre en compte la différence de support à ce niveau-là, mais l’exemple n’est pas anodin.
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Nicolas Jaar live @Boiler Room NY
La fin de culture à la télé, vraiment ?
Pour finir, lors de la dernière de “Taratata” sur France 2, Nagui a annoncé pour la rentrée la continuité de l’émission sur sa chaîne YouTube :
200.000 personnes nous ont manifesté leur soutien sur Facebook et Twitter. Et 1,5 million de personnes regardent chaque mois sur Internet les vidéos de “Taratata”, cela a été essentiel dans notre réflexion.
À l’heure où les français hurlent à la perte culturelle télévisuelle attisée par la suppression de certains de ses programmes, le journal Le Monde rapporte que “jamais le service public n’aura autant investi ces trois dernières années que dans le domaine culturel, atteignant un record historique en 2012 de 420 millions d’euros.”
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Lady GaGa à “Taratata” en 2009
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