C’était une chanson de Laurent Voulzy sortie en 1992 : Le Pouvoir des fleurs. Depuis quatre ans, c’est ce qui redonne à Jean-Jacques, 67 ans, ainsi qu’à ses voisins, un peu de quiétude. Dans le dédale d’artères du Vieux-Nice (Alpes-Maritimes), la rue de l’Ancien Sénat est bordée de lauriers, d’oliviers, de lierre, chèvrefeuille et autres fittonias. 141 jardinières au total ont été disposées au sol et encore quarante autres sur les fenêtres d’une même façade. «C’est la rue la plus photographiée de Nice ! La plus “instagrammable”», lance un riverain. Mais ce n’est pas là la première vertu de cette végétalisation effrénée. Il s’agit d’abord d’empêcher toute une faune d’individus de squatter le secteur, de s’adonner au trafic de drogue et de s’aviner jusqu’à la lie.
141 jardinières au total ont été disposées en bordure de la ruelle. Nicolas Daguin
«Ça gueulait sans arrêt, parfois dès 3h de l’après-midi et jusqu’à 5h du matin. Les odeurs de cannabis étaient insupportables. Le climat était oppressant. C’était devenu invivable», se souvient Jean-Jacques, qui vit depuis 25 ans au deuxième étage d’un immeuble on ne peut plus niçois, à la façade ocre et aux volets verts (voir photo ci-dessous). Sur son téléphone, il a conservé des dizaines de clichés et vidéos de cette époque pénible. On y voit de jeunes hommes en survêtement en train de rouler des joints de cannabis, de crier et de boire, agglutinés dans la ruelle. Un autre essaie même carrément d’escalader une façade pour rentrer dans un appartement. «C’était ça tous les jours», assure le sexagénaire.
Méthode douce
Pas «Peace and Love» mais «presque» comme il le dit lui-même, ce dernier décide en 2020 d’agir sans violence pour mettre fin aux nuisances. «Les affronter ne m’aurait pas donné gain de cause. Eux n’attendaient que ça mais je n’ai jamais voulu faire preuve d’agressivité», poursuit-il. C’est ainsi que lui vient l’idée de végétaliser la rue. «Je me suis dit que quand ils n’auraient plus de place, ils finiraient par partir», résume-t-il. C’est en bas de chez lui qu’il commence, au pied de son immeuble. «Je me suis vite pris au jeu et les voisins m’ont suivi», explique-t-il. Jean-Jacques évoque Alexandre et René par exemple, qui lui ont chacun donné quelques plantes. Et ça marche : «Au début, on m’arrachait les pots, alors il a fallu que je les attache avec des chaînes et des câbles fixés dans le mur. Ensuite, les plantes étaient arrachées de leur pot, mais je n’ai jamais perdu mon calme», rapporte-t-il.
La façade de l’immeuble où vit Jean-Jacques, végétalisée elle aussi. Nicolas Daguin