“J’ai été surpris du retour positif !” : Samuel Le Bihan se livre sur la sortie de Gueules Noires
C’est au festival du film francophone d’Angoulême, en août 2023, que nous avons rencontré Samuel Le Bihan. Dans le cadre de cette belle manifestation, co-créée et présidée par Dominique Besnehard, le héros de la série Alex Hugo présentait son dernier film, Gueules noires. Il y retrouve son partenaire de Capitaine Conan, Philippe Torreton, et incarne un mineur de fonds confronté, avec ses hommes, à un être fantastique et monstrueux. Le film est sorti en salles merredi 15 novembre 2023 et, à cette occasion, nous avons longuement interviewé l’acteur pour Télé-Loisirs. Retour au cinéma, carrière, philosophie de vie ; avec sincérité et humilité, Samuel Le Bihan a répondu à toutes nos questions.
Télé-Loisirs : Cela fait quasiment 10 ans que vous n’aviez plus tourné pour le cinéma. Qu’est-ce qui vous a fait accepter Gueules noires, ce film de genre signé Mathieu Turi ?
Samuel Le Bihan : La vie est un hasard. Tout à coup, ce jeune réalisateur me dit vouloir faire un film de genre. Or, je n’avais pas envie de faire un film trop ‘segmentant’. J’aime quand les films traversent les univers. Mais en lisant son scénario, je me suis dit que Gueules noires était plus large qu’un film d’horreur. Il n’appartient pas à un genre. C’est un film d’aventures, avec des codes et un budget modeste transcendé par le réalisateur, qui a su utiliser son décor et ses axes de caméra pour le maximiser…
“Mon personnage, comme Alex Hugo, a un ADN d’héroïsme”
Pour vous, ce n’est pas un film d’horreur ?
Non, c’est un film d’aventures. Vous savez, lors d’une avant-première, il y avait dans la salle le public d’Alex Hugo et je redoutais leur réaction. Mais les gens ont adoré, ce qui m’a rassuré. Il y a certes un ADN d’héroïsme commun aux deux. Alex défend des valeurs de liberté, de justice. Il a une morale très forte. Quant à Roland, mon personnage de Gueules noires, c’est la même chose… sauf que ça ne se passe pas à la montagne, mais dans les entrailles de la terre ! Pour le reste, il déteste l’injustice, écoute ses hommes et les dirige en douceur. C’est un mec droit, prêt à se sacrifier pour les autres.
Il n’empêche ; Gueules noires est un film graphique, par moment gore, avec un monstre. Avez-vous eu des réticences à ce sujet ?
Oui, mais je trouve que le gore est utilisé avec intelligence ; il est dans la logique de l’histoire. Il n’est pas là pour choquer gratuitement le public. Ces hommes sont confrontés à une réalité violente et il y a même une dimension mystique dans cette “chose” qu’ils affrontent. Pour moi, on dépasse le gore ! Si, à la base, on m’invite à regarder pendant 1h30 un film qui se passe dans une mine, je pourrais être réticent. Sauf qu’ici on ne se pose pas la question et qu’à aucun moment on a un sentiment d’enfermement. Au fond, je suis rentré dans ce film parce que j’ai suivi un cinéaste. Je me suis autant intéressé à son univers qu’à l’histoire de ces gueules noires.
Il y a 10 ans, alors que vous veniez de tourner le premier épisode d’Alex Hugo, vous aviez comparé l’acteur que vous êtes à une danseuse, attendant d’être invitée à un bal. Avez-vous le sentiment d’avoir été redécouvert, depuis, par les créateurs de fictions ainsi que par un nouveau public ?
Oui, j’ai maintenant les anciennes générations et les nouvelles générations ; il y a Alex Hugo mais aussi des jeunes à qui leurs parents ont montré Le pacte des loups. Ça fait plaisir.
Est-ce que vous doutez moins de votre place dans ce métier, du fait d’être suffisamment sollicité ?
Je pense qu’il faut avancer avec ses doutes. C’est généralement quand vous croyez avoir une réponse, quand vous pensez avoir compris, que vous faites une connerie [rires] !
Vous disiez aussi que vous doutiez de l’image que l’on se faisait de vous. On vous limitait à ce côté physique, alors que vous rêviez de jouer des rôles ambivalents, troubles. Or, avec Alex Hugo, cela a pris une direction plus classique et conforme à cette image initiale…
Sans doute y-a-t-il des rôles qui me conviennent moins. J’ai voulu jouer des hommes troubles, plus négatifs, qui me permettaient de travailler d’autres dimensions de la nature humaine, mais j’ai l’impression que ce n’est pas là que le public a envie de me voir. Du coup, j’explore la nature humaine, mais sur un versant positif. Gueules noires est une réflexion sur le courage, l’altruisme. C’est aussi le sens d’Alex Hugo.
“Ce que fait Vincent Lindon est magnifique”
Cette série est un carton, suivie en moyenne par six millions de téléspectateurs. Une revanche sur le fait de ne pas avoir “la carte” auprès des gens de cinéma ?
J’apprécie pleinement le succès d’Alex Hugo, mais je ne le vis pas comme ça. Bien sûr, il y a des réalisateurs avec lesquels j’aimerai travailler. Mais il ne sert à rien d’être envieux et je suis émerveillé de voir le talent de mes camarades acteurs. C’est bien, aussi, d’être inspiré, d’apprendre et de progresser !
Quels comédiens vous épatent ?
Ce que vous avez fait ?
Oui, dans l’environnement et l’associatif. Ce qui capte mon attention vers des choses plus essentielles et me ramène à la réalité. On n’est pas acteur en touriste, ce n’est pas une occupation du dimanche. Il faut s’investir et se poser les bonnes questions, mais, de mon point de vue, on a aussi besoin de soupapes. Paradoxalement, ces occupations me prennent tellement de temps que, lorsque je vais tourner, ce sont presque des vacances, dans la mesure où on me prend en main, on me maquille, on me coiffe, on m’apporte le café…
Cette prise de distance est aussi géographique, depuis que vous habitez à Nice pour que votre fille, atteinte d’autisme, vive dans un meilleur cadre…
Oui, même si j’y trouve mon compte et que je suis très heureux là-bas. Au début, je me posais la question : est-ce qu’en quittant Paris, je ne m’éloignais pas d’un réseau, d’une facilité à rencontrer les gens du métier ? Et en fait, tout se passe au mieux. D’abord parce que ma fille est heureuse et grandit très bien. Par ailleurs, ça ne m’a pas déconnecté du métier.
Vous venez de boucler le 30ème épisode d’Alex Hugo sur le tournage duquel vous vous êtes blessé.
J’ai toujours mal, et je porte encore une attelle [l’interview a été réalisée fin août, ndlr]. C’est une vilaine entorse.
Normalement à l’été 2024. Mais, entre-temps, j’ai fait avec Natacha Régnier Tu ne tueras point, un téléfilm où j’interprète un avocat défendant une mère qui a tué son enfant. Il devrait être diffusé cet hiver sur France-Télévision. Et puis il y a Seul, sur le tour du monde sans assistance du skipper Yves Parlier qui va péter puis réparer son bateau, en 2000-2001.
“J’ai vu tant d’amis abimés par la vie et ses épreuves”
Vous retrouvez des rôles à la mesure de votre incarnation du champion cycliste Laurent Fignon dans La dernière échappée, en 2014…
C’est le genre de projet que tous les acteurs recherchent ; ce sont des rôles qui nous sortent de notre zone de confort. Quand on vous les offre, ce sont des cadeaux !
Est-ce que vous espérez que Gueules noires vous relance dans le cinéma ?
Non. Je l’ai fait parce que Mathieu Turi m’a accroché. Vous ne pouvez jamais savoir si le projet sur lequel vous avez misé va emballer le public. J’ai déjà été surpris du retour positif du film à Angoulême.
Il y a 10 ans vous m’aviez dit : “Je ne pense pas être spécialement intelligent, ni talentueux, ni beau, j’ai juste de la volonté mais avec ça, au final, je pense m’être débrouillé et avoir fait quelque chose de ma vie”. Etes-vous toujours aussi auto-dépréciatif ?
Pour évoluer dans la vie, il faut être objectif. Aujourd’hui, on est dans une société où l’on vous dit sans cesse : “Il faut avoir des pensées positives”, “il faut se fixer des challenges”. Bien sûr… Mais il ne faut pas se mentir et se dire que, demain, on sera footballeur au P.S.G. La pensée positive à ses limites. Les grands sportifs sont très forts pour progresser parce qu’ils sont objectifs quant à leurs talents, leurs capacités, leur fragilité et le travail qu’ils doivent donner pour pouvoir avancer. Un artiste à le droit, aussi, de s’évaluer ainsi. Je veux juste me mettre à la bonne place pour savoir ce que j’ai à faire et comment je dois m’arranger avec l’environnement qui est le mien pour arriver à m’en sortir. Je n’ai pas fait de grandes études, mais j’ai de l’ambition. Je n’oublie pas que je suis un élève boursier qui a pu bénéficier de l’ascenseur social. J’ai choisi d’être artiste mais, en étant un artiste, j’ai pu énormément me cultiver et m’ouvrir au monde. C’est bien de savoir où l’on se situe et de pouvoir ajuster de façon à progresser. La progression ne se fait pas du jour au lendemain ; c’est très long. Mais par contre c’est solide et j’ai ce désir de travailler pour construire. À cette condition vous pouvez changer votre vie. Cela demande beaucoup d’organisation, un peu de sacrifice et de courage. Cela n’a rien d’évident. Ce n’est pas si simple d’acquérir cette méthode et de la confiance. Si je ne me lance pas beaucoup de fleurs, cela me permet de me bouger et d’aller chercher la nourriture dont j’ai besoin. Mais encore une fois, rien n’est acquis. J’ai vu tant d’amis talentueux abimé par la vie et ses épreuves. Cela ne tient à rien. Notre seule mission, au fond, est de chercher le bonheur