Florent Pagny : “Moi, je vis un peu partout sur la planète, et ce, depuis longtemps”
Nous avons rencontré Florent Pagny, de passage pour la première fois à Varsovie où il était invité à se produire sur la scène du Teatr Wielki, à l’occasion du 10e Gala French Touch. C’est après les répétitions, qu’il accepté, en toute simplicité, de répondre à nos questions : quel regard porte t-il sur sa carrière, sa vie en Patagonie à des milliers de kilomètres des feux des projecteurs et des flashs, sa maladie – qu’il appelle « l’interruption », sa mission de coach dans l’émission The Voice, sans oublier la sortie du livre de sa fille Ael, photographe, qui en 288 pages émouvantes – retracent « Pagny par Ael : Un livre de photos inédites, celui d’une fille pour son père ».
Écrit par Bénédicte Mezeix-Rytwiński
Publié le 15 novembre 2024, mis à jour le 18 novembre 2024
Lepetitjournal.com Bénédicte Mezeix-Rytwiński : On peut dire que vous aussi, vous êtes un Français de l’étranger ; quelle est votre french touch, cette touche française que vous apportez dans le gala de cette année ?
Florent Pagny : J’apporte mon répertoire français : je suis un franco-français donc évidemment connu en France, en Belgique et en Suisse, bref, les pays francophones, un petit peu au Canada – mais je n’y suis pas beaucoup allé, donc je n’ai pas de vrais résultats sur le marché canadien. Sinon, on m’a invité un jour à faire un spectacle au Liban et le public connaissait toutes mes chansons par cœur. Mais les Libanais sont connus pour être francophiles, donc je ne pense pas qu’il y ait la même chose ici. En Pologne, il peut y avoir un intérêt pour la France, notamment pour les produits français avec plutôt une image de luxe… On s’est baladé un peu dans le quartier, et on a eu du mal à trouver une boutique normale – je veux dire, autre qu’une marque de luxe (rires).
Je viens avec mon répertoire, dont les titres « Savoir Aimer » ou « Et un jour une femme », qui sont devenus des classiques de la chanson française, mais ma touche française, je pense que ce n’est que pour la soirée, cela s’arrête là (rires).
Vraiment vous pensez ? Moi, je parie que non…
J’arrive à un moment de ma carrière où je suis plus en train de me dire que j’appartiens à une génération et à un genre musical un peu vintage ; quand on voit comment tout évolue aujourd’hui entre l’urbain et le streaming. Je suis l’un des derniers à vendre des CD.
Alicja Szemplińska a interprété la chanson « Caruso » aux côtés d’un Florent Pagny accompagnés de Nour Ayadi au piano – Frenh Touch 2024
Lors du Gala French Touch 2024, Florent Pagny a chanté « Savoir Aimer », « Un jour une femme » et en duo « Caruso » et « Là où je t’emmènerai ».
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Savez-vous combien vous vendez de CD ?
Alors pour le dernier sorti l’année dernière, j’ai vendu 250.000 albums et environ 190.000 CD, ce qui est, aujourd’hui, un record et je vais vous dire pourquoi : il n’y a même plus de support pour écouter un CD aujourd’hui. Quand vous achetez une nouvelle voiture, par exemple, il faut demander une option pour pouvoir avoir un lecteur.
Finalement, les gens achètent mes CD via Amazon, qui est devenu mon plus gros distributeur, car, ma génération, mon public écoutent encore de la musique ainsi. Petit à petit, même ce dernier va avoir son abonnement à Spotify ou Deezer et écoutera sa musique sur son téléphone. C’est le progrès qui nous emmène à cela.
Est-ce que vous réfléchissez à des moyens de toucher un public plus jeune ?
Honnêtement, j’ai tendance à penser que mon histoire est un peu faite. Alors je participe à The Voice, ce qui me rajeunit beaucoup. Aujourd’hui, j’ai la chance de faire des tournées, des zéniths que je remplis facilement, avec des jauges entre 5.000 et 10.000 personnes. J’ai fait 22 albums et comptabilise 12 éditions à The Voice ; donc je remarque que dans les salles, il y a de nouvelles générations qui viennent m’écouter.
Mais je ne suis plus dans cette logique de conquérir d’autres publics pour essayer de rajeunir mon image.
Est-ce la maladie qui vous a poussé à voir la vie ainsi ?
Non, ma maladie est passée. Pendant ma maladie, j’ai pu finir une tournée de festivals, enregistrer un album et j’ai participé à la finale de The Voice alors que je sortais à peine de chimiothérapie et que j’allais repartir en radiothérapie.
La maladie, je l’ai incluse dans mon planning et j’ai jonglé avec. Mais elle ne m’a pas provoqué d’autres réflexions pour m’amener à faire autre chose.
C’est vrai qu’à un certain moment, avant même d’être malade, je sentais bien que mon public était vieillissant et que les nouvelles générations consomment et écoutent la musique d’une autre manière… Mais c’est vrai que ces derniers temps, nous, les vieux artistes, on est de moins en moins nombreux et finalement, je suis encore là, ma voix est encore là ; mais je ne suis pas du tout en train de me dire qu’il va falloir trouver de nouvelles chansons ou faire de la musique plus moderne.
Vous avez plusieurs vies, c’est une sacrée organisation, non ?
Moi, je vis un peu partout sur la planète, et ce, depuis longtemps. Je n’ai pas qu’une vie de chanteur et j’ai envie de pouvoir profiter de ce que cette vie d’artiste m’offre comme libertés afin de me retirer du monde, dans des endroits où on ne sait pas que je suis chanteur, où on ne me voit pas à la télévision, où on ne m’écoute pas à la radio… Ma femme vient de Patagonie, et je partage beaucoup ma vie dans cette zone-là, qui est retirée du monde.
J’ai toujours alterné [ces deux vies], mais je dois vous avouer que, quand je retourne en France, mon planning est plutôt très organisé et quand j’ai terminé quelque chose, je peux prendre mon avion pour aller dans l’autre hémisphère. Au contraire, quand je dois revenir en France depuis l’hémisphère sud, je n’ai jamais fini ce que je dois faire : j’ai toujours des choses de prévues (rires).
Mais que faites-vous là-bas, qui vous occupe autant ?
C’est la grande question (rires) ! Sachez que je ne fais jamais la même chose : je n’ai jamais une journée comme la précédente.
Je peux me retrouver à conduire un camion, à monter sur un bateau, à faire du quad… Ce sont des activités très natures, car c’est un pays avec de grands espaces. Je gère aussi quelques fermes, mais surtout, je profite de cette vie de campo, avec des gens qui s’occupent du bétail, des moutons, des vaches…
Je n’ai pas de routine. Encore qu’en France je n’ai pas non plus de routine, mais je rentre toujours dans un même cadre qui est celui du chanteur entre les plateaux, les studios et dès que je sors dehors, il y a toujours quelqu’un pour me demander une photo ; alors que, là-bas, les gens ne m’en demandent pas – les chevaux ne me demandent rien (rires), même si j’ai fait une chanson qui s’appelle « Demander à mon cheval ».
Qu’est-ce que la Patagonie a changé dans votre vie ?
En fait, la Patagonie est une région d’Argentine et là-bas, il y a plusieurs peuples, ce n’est pas comme chez nous en Europe : en Pologne, c’est les Polonais avec leur culture ; l’Italie, c’est les Italiens avec leur culture… L’Argentine est multiculturelle. Dans la zone patagonienne, il y a très peu de gens alors vous pouvez rouler sur les pistes pendant 3,4 ou 5 heures sans croiser personne, ce n’est vraiment pas la même chose…
C’est plutôt la nature qui m’a donné des leçons et qui m’a séduite et c’est vrai que j’ai réalisé ce qu’était un arbre quand je suis allé vivre là-bas. Quand je reviens en France maintenant, je les considère autrement.
C’est cet impact naturel avec la culture argentine qui est spéciale, car ils sont tous espagnols, italiens, allemands, basques… donc plutôt multiculturels et n’ont pas trop de communautés, à part autour du football (rires). Dès qu’ils gagnent un peu d’argent, ils le sortent du pays pour le mettre ailleurs parce que c’est une économie trop difficile.
Parlez-nous du ciel de Patagonie ?
Le ciel de Patagonie n’a que très peu de pollution lumineuse puisqu’il y a peu de villes et de villages, et puis surtout, vous n’avez pas de constructions. Donc, vous vous retrouvez dans des endroits où à 360 degrés, il n’y a même pas un poteau électrique. On a de belles fins de journées à Paris, mais on ne les voit pas beaucoup, alors que là-bas on se prend des claques impressionnantes.
C’est vrai que ce phénomène, très lié à la nature, m’a un peu bousculé et m’a donné envie d’alterner : de pouvoir vivre d’un côté, une vie où tout le monde me connaît et d’un autre côté, une vie avec très peu de gens, où la nature a toujours le pouvoir, où vous devez vous plier à ses règles, et c’est très agréable. Il n’y a plus beaucoup d’endroits comme ça.
Quand vous parlez de la vie de campo, on a l’impression que vous êtes si loin de la frustration créée par nos sociétés consuméristes…
J’ai eu la chance d’avoir réussi à construire une vie et à accéder à des choses qui m’ont permis de ne plus connaître la frustration, que j’ai pu avoir à un moment de ma vie, où je regardais le prix des choses pour pouvoir les acheter. J’ai cette liberté-là.
Et puis, j’ai toujours tendance à dire que je peux vivre avec quasiment rien, car, j’ai déjà vécu avec quasiment rien dans ma vie (rires), je sais ce que c’est…
Donc là-bas [en Patagonie], je ne suis pas là, avec ma carte bancaire, ou avec mon porte-monnaie, car, on vit beaucoup en autarcie.
En Patagonie, avez-vous un verger, un jardin, cultivez-vous ? Je l’imagine très riche et fertile cette terre volcanique ?
Bien sûr, vous avez une diversité de terres avec la Cordillère, la pré-Cordillère, au bord des montagnes, où la terre est beaucoup plus fertile que dans le désert où elle l’est moins, mais si on arrose un peu, tout pousse ! Il y a encore des restes de dinosaures et de bois pétrifié (rires). Les arbres faisaient 30 mètres de haut dans des zones qui sont devenues désertiques. On peut cultiver et élever ce que l’on veut.
Les vergers sont grands : le moindre campo fait au minimum 2.000 hectares. Donc, à certains moments, cela nous dépasse. J’ai même des voisins qui ont des campos de 200.000 hectares : vous roulez pendant deux heures pour en sortir. C’est très surprenant, cela n’existe nulle part ailleurs.
Recevez-vous beaucoup de visites dans l’hémisphère sud, ça fait un peu loin, pour venir vous voir ?
Beaucoup de gens me disent qu’ils vont venir visiter (rires). Mais, ils ne viennent jamais parce que le voyage coûte très cher et il n’y a pas d’infrastructures, c’est très compliqué de pouvoir gérer son déplacement et les visites touristiques.
C’est tellement grand qu’on est obligé de prendre un avion pour aller de point en point ; sauf si on est un peu plus aventurier : on peut louer une voiture, mais pour parcourir les distances, cela peut prendre un voire deux jours avec des chances de dormir dans le véhicule.
Côté télé, vous allez reprendre The Voice en 2025 ?
Oui, je vais commencer à enregistrer maintenant, car, on enregistre toujours à la fin de l’année précédente pour que le programme passe à partir de février de la nouvelle année et dure tout le printemps.
Pour vous, cette transmission, via ce rôle de coach, est-ce important par rapport à votre parcours ?
Je le vivais plus comme un domaine que je connais bien c’est-à-dire, la voix, le son ; donc écouter quelqu’un, ne pas le voir, ressentir quelque chose et analyser mon ressenti juste en l’écoutant, c’est quelque chose que je maîtrise. Ensuite, on a un cahier des charges très agréable dès le départ : la bienveillance.
Je ne me considère pas comme un maître, je ne suis pas là pour donner des leçons, mais pour exprimer mes sentiments et mes ressentis, pour leur donner confiance : c’est très important.
Donc systématiquement, je fais la même chose : je vais chercher le point fort de la personne que je mets en avant et puis à la fin, une fois que j’ai expliqué tout ce que j’ai aimé, je fais remarquer éventuellement le point faible ; mais je ne mets jamais cela au début, pour ne pas décourager la personne et d’un seul coup, lui casser son espoir. C’est très appréciable de le faire dans ce sens-là, parce qu’une fois qu’on a remarqué ce que les gens avaient de bien, ils acceptent beaucoup mieux ce qu’ils ont de moins bien, et corrigent même mieux leurs points négatifs en s’appuyant sur leurs points positifs.
Moi, je ne me suis pas senti une vocation de coach, à vrai dire. Je me suis dit, chacun a sa place et je vais essayer de prendre la mienne de la meilleure manière en leur expliquant bien que je ne vais pas passer ma vie avec eux. Dès le début, je leur dis que je viendrais à certains moments. Le coaching, ce n’est pas moi qui le fais toutes les semaines, il y a des professeurs de chant et de musique qui les accompagnent et moi je ne viens qu’une fois que le travail a déjà été débroussaillé pour donner mon avis et les amener plus loin encore avec mon expérience, mais sans jamais leur donner de leçons.
Je préfère donner envie et inspirer par ce que je fais ou ce que je suis plutôt que de dire fait comme-ci fait comme ça.
Parce que vous, vous n’auriez pas aimé qu’on vous le dise ? (rires)
Non, je n’aime pas trop… (rires) On peut m’amener à faire des choix ou à comprendre des choses, mais, il faut savoir le faire. De toute façon, même à un enfant, il faut savoir lui expliquer les choses pour qu’il commence à comprendre. Donc, si vous voulez de bons résultats, soyez plus cool.
C’est également ce que vous avez appliqué dans votre vie de famille ?
Oui, dans ma vie aussi. Je n’ai jamais rien caché à mes enfants. Je ne suis pas là pour leur donner des cours tout le temps. S’il y a quelque chose qui ne va pas, je leur fais remarquer. J’essaye d’être le plus cool possible, et ils sont cool aussi (rires).
Vous avez chanté avec Carla Bruni, lors du Gala French Touch, le titre « Là où je t’emmènerai », tout comme sur votre album « 2bis » qui fait d’ailleurs référence à un de vos précédents albums…
Oui, il fait référence à un album que j’avais appelé « 2 » qui est en fait, un concept d’album qu’avec des duos. Le premier « 2 » est un album de duos, mais je n’avais pas que mes chansons ; sur « 2bis » c’est uniquement mon répertoire, car, j’arrive, après 30 ans de répertoire, à faire un double album avec 20 titres.
Ce sont les copains que vous avez appelés, car je vois qu’il y a Pascal Obispo, Patrick Bruel, Carla Bruni… ?
Oui, en 35 ans, on se connaît tous. J’ai fait appel à mes amis, aux gens que j’aime bien et que j’apprécie dans ce métier.
Patrick Bruel était en Pologne, justement, il y a un an, à l’occasion du Gala French Touch également…
Oui, Patrick Bruel est très client de ce genre d’expériences. Personnellement, cela fait quelques années qu’on m’appelait pour participer à la French Touch, mais j’étais toujours occupé…
Cette année, les organisateurs sont revenus vers moi, à un moment où j’étais disponible donc me voilà (rires). Mais, je ne me dis pas que demain matin, je vais ouvrir le marché polonais et que je vais avoir un nouveau public qui va suivre ma carrière… (rires)
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Cet album « 2bis » vous permet de soutenir l’association ELA, qui finance la recherche médicale, soutient les familles, et sensibilise sur les leucodystrophies ?
Je soutiens beaucoup ELA, c’est d’ailleurs pour soutenir cette association qu’on avait fait une émission de télévision consacrée à l’album « 2bis ». ELA est une association qui concerne une maladie orpheline, la leucodystrophie, qui touche essentiellement les enfants. C’est une maladie très proche de la sclérose en plaques.
Vous avez bouclé un très beau projet avec votre fille Ael, qui vous a consacré un livre de photos, sorti le 6 novembre en librairie, le jour de votre anniversaire ?
C’est son projet à elle ! (Rires) Ael est photographe donc elle est venue m’accompagner pendant ma tournée des 60, jusqu’à la moitié. Par la suite, elle s’est retrouvée à faire d’autres photos pour des magazines comme Gala ou Paris Match. Et puis, elle a suivi la création de l’album « 2bis » : elle était en studio avec tous mes camarades et a fini par faire la tournée des festivals.
Donc, Ael avait, presque sur deux ans, un bon nombre de photos ! Je l’ai même invitée un jour quand je faisais des séances de radiothérapie pour qu’elle puisse avoir une trace du moment qu’on appelle « l’interruption ».
Quand je suis revenu faire la finale de The Voice, j’avais une autre apparence, un autre look ; après la chimiothérapie, j’avais perdu tous mes cheveux, ma barbe et je me suis dit qu’il fallait peut-être faire un reportage avant, pour ne pas que le public soit choqué, quand il me découvrirait à la télévision. Donc, on a organisé un shooting avec Gala et c’est elle qui a pris les photos. C’est son premier livre de photos et Ael est plutôt douée !