Dans une discographie aussi fournie que variée Florent Pagny s’est, un jour, aventuré du côté techno. Le 25 octobre 1999 il dévoilait RéCréation, double-album de reprises de chansons françaises à la sauce dance/techno 90s. Il y a 25 ans, donc. On vous remémore ce souvenir douloureux.
Oui, vous êtes toujours chez Tsugi et on parle de Florent Pagny. Mais c’est justifié. Fin 1999, l’interprète du hit ‘Savoir aimer‘, qui a rencontré un large succès partout en France, s’est offert une pause avec le double-album RéCréation sorti chez Philips -qui était alors en train de se scinder entre Mercury et Universal. Le titre de l’album est une référence, puisque Récréation était un disque de reprises françaises, publié par Claude Nougaro en 1974 (et déjà sorti chez Philips).
Cet album c’est, en tout, quatorze reprises de chansons françaises. De Johnny à Téléphone, de Balavoine à Trust, de Delpech à Bashung et Gainsbourg, les grands noms de la chanson française y passent (mises à part les chanteuses, apparemment). Alors au-delà du côté amusant, ça donne quoi côté son ?
D’accord, Pagny nous a habitués à surprendre en musique, même s’il tentera bien plus tard des paris osés : de son album opéra/bel canto Baryton (2004) à son duo -par exemple- avec le rappeur/beugleur Big Ali sur ‘Des larmes de sang’ (2008).
Allons-y donc pour RéCréation : on commence avec « Les parfums de sa vie » d’Art Mengo en mode house gavée de soul, de violons grandiloquents et de flûte traversière à la David Homes (qui a conçu les B.O. des trois Ocean’s). Et c’est pas si mal.
C’est peu après que ça se gâte, on retrouve le même mixage kitsch dans « S.O.S. Amor », la voix est théâtrale et Florent force le côté rocailleux, avec en prime des cuivres et une guitare électrique Daftpunkée. Mais à ce stade c’est encore ‘écoutable’.
Le basculement s’opère sur « Requiem pour un con » de Gainsbourg, composé en 1968 pour le film Le Pacha avec Jean Gabin : désastre, c’est à peu près certain que les arrangeurs ont écouté l’immense Mezzanine de Massive Attack, sorti un an plus tôt. C’est maladroit et honnêtement, très mal mixé. Sacré prouesse d’avoir un plus mauvais rendu (en termes de production) que la chanson de base sortie 30 ans plus tôt.
Les reprises suivantes « Pars » et « Il voyage en solitaire » n’ont carrément rien d’électronique. Elles s’apparentent plutôt à des titres pop teintés d’arrangements rock et d’inspi musiques indiennes. L’enchaînement « J’oublierai ton nom » suivi de « Jolie Môme », était-il là pour provoquer chez nous un arrêt cardiaque ? Catastrophique, et le mot est pesé. Donc des dizaines de personnes chez Mercury-Universal ont validé ce rendu ?
« Vendeurs de larmes » est un gloubi-boulga dance/club/break, mais sur « Hygiaphone » on se surprend à secouer la tête. Le track serait-il meilleur que ses voisins, ou est-ce qu’on s’habitue au fil des chansons ? On est à la fin du premier disque.
La deuxième partie est du même acabit. « Quand j’étais chanteur » perd sa profondeur et sa tendresse au profit d’une soupe funky, même chose pour « Voilà c’est fini » ambiance house insipide… Tout cela pour finir ce double-album sur « Antisocial » de Trust qui, il faut bien le dire, renfermait quelques bonnes idées mais -vraiment très- mal organisées.
Pagny problème
Pour citer Florent Pagny avec le texte d’un de ses premiers succès : « Tu crois qu’on va rester sans rien dire ? Ah oui, tu crois que j’vais rester planté là, à te voir partir dans tes délires et te laisser faire n’importe ? » Et non Florent : une fois, pas deux. Finalement cet album, c’est l’exemple parfait de ce que la techno et les musiques électroniques sont dans l’esprit du grand public à l’époque.
La démarche de Florent Pagny et sa team, dans la création de cet album, semble innocente et bienveillante. Mais le résultat est plutôt ridicule. Si vous vous demandiez : « mais c’est quoi exactement l’appropriation culturelle ? » Et bien c’est ça. On mélange tous les sons qui sonnent ‘électroniques’ et on en fait la toile de fond sur laquelle Pagny pourra poser sa voix : avec justesse et précision, sans aucune âme ni émotion. Mais vu que les musiques électroniques se développent vitesse Grand V, que c’est dans l’ère du temps, l’album fonctionnera sans problème auprès du grand public.
300 000 copies de l’album seront vendues. La galette se hisse même jusqu’à la première place du classement du SNEP, où il reste le temps d’une semaine. Sous la vidéo YouTube de « Jolie Môme », le tube de cet album, un internaute nous apprend qu’il « vient d’acheter le double album ». En 2024. Grand bien lui fasse.
Sur tsugi.fr : Playlist : 100 titres électroniques qui ont fait la France
Le but ici n’était évidemment pas de taper sur Florent Pagny. Mais on ne s’invite pas dans la culture des musiques électroniques sur un simple coup de tête. On ne fait pas un ‘album techno’ en claquant des doigts ou en rajoutant des kicks sur n’importe quelle prod.
Le genre a son histoire et ses codes, qu’il faut quelque peu respecter. Sinon on s’expose au risque de trop vulgariser et quelque part, de se ridiculiser. En laissant derrière soi un album qui, 25 ans plus tard, sonne vraiment très kitsch, voire démodé et opportuniste.